« Jeu de la virgule » : après l’agression d’un lycéen breton, la peur que le phénomène se développe
Article paru sur le site de Ouest France
Reproduit avec l’aimable autorisation des auteurs
Après qu’un élève du lycée de Cornouaille, à Quimper (Finistère), a été victime du « jeu de la virgule », jeudi 5 octobre 2023, beaucoup de questions restent en suspens. Entre incompréhension, colère et craintes, le proviseur Jean-François Cochin et les lycéens veulent trouver des solutions pour enrayer ce phénomène dangereux. De son côté, l’agresseur dit « regretter son geste » selon la directrice académique des services de l’Education Nationale qui prend « cette mode idiote » très au sérieux.
Au sein du lycée de Cornouaille, à Quimper (Finistère), beaucoup de questions restent en suspens depuis l’agression, jeudi 5 octobre 2023, d’un élève de première, victime du mal nommé « jeu de la virgule » . Il consiste en un violent coup dans la nuque suivie d’une torsion de la tête dans le sens opposé, phénomène filmé et largement diffusé sur la plateforme Tik Tok.
Essayer de comprendre
« Ils étaient dans un lieu en autonomie, comme il y en a plusieurs dans notre lycée. Il y a eu une altercation : un élève a brutalisé un autre » , résume lundi 9 octobre, le proviseur Jean-François Cochin, avant de préciser : « Ils sont en première mais ils ne sont pas dans la même classe. » Il poursuit : « La surveillante est arrivée 30 secondes après, les autres élèves sont intervenus tout de suite. La victime a été menée à l’infirmerie, les parents ont été contactés et il a été pris en charge aux urgences. »
Le lycéen souffre d’une entorse au rachis cervical, et doit porter un collier cervical pendant une dizaine de jours. « Nous allons voir avec l’élève pour son retour au lycée, comment il se sent physiquement et psychologiquement , expose Jean-François Cochin. Et nous essayons de comprendre ce qu’il s’est passé. Depuis la fin de semaine dernière, nous recueillons la parole et témoignages des autres élèves. » Une sanction d’exclusion temporaire a été prononcée à l’encontre de l’élève responsable de l’agression, avant de passer en conseil de discipline.
Samuel, élève de terminale, a vu de loin la scène se dérouler. « J’étais avec un groupe d’amis, on était cinq en tout. On a entendu un cri assez fort au niveau de la salle de permanence. Au début, on n’a pas compris. On s’est rapproché et on a vu un petit rassemblement se former. »
« Cela nous a choqués, évidemment »
En posant des questions aux autres, Samuel comprend rapidement qu’un élève a été agressé. « C’est ce qu’on m’a répondu. Cela nous a choqués, évidemment. » La tendance du « jeu de la virgule », le lycéen en avait « vaguement entendu parler. Entre potes, on en discute mais pour ma part, je n’ai jamais été confronté à cette pratique ».
Juste à côté de lui, Mathéo s’est un peu plus renseigné sur le sujet. « C’est un jeu idiot pour le plaisir de faire mal à l’autre et souvent par surprise. La victime ne voit pas venir le coup puisque c’est par-derrière. C’est ce que recherchent ceux qui font ça. Un ami à moi, en Normandie, a lui aussi été victime. Il est resté trois jours à l’hôpital et a été obligé de porter un collier pendant presque trois semaines. »
Pour les deux lycéens quimpérois, ce type de phénomènes n’est cependant pas « étonnant. Depuis plusieurs années, c’est la course à la vidéo qui fera le plus de buzz sur les réseaux sociaux ». Pour eux, c’est « zéro tolérance »
Au lycée de Cornouaille, « certains s’amusent aussi à insulter des gens en les prenant en vidéo avec le téléphone portable, explique Samuel. En faisant ça, ils espèrent avoir le plus de vues sur leur vidéo pour être populaire auprès des autres. Le problème, c’est qu’ils poussent le vice le plus loin possible. C’est de pire en pire. Là, le but, c’est carrément de briser les cervicales de quelqu’un. Ça fait froid dans le dos et surtout, ça peut tous nous arriver. Il faut sensibiliser tout le monde au sein de l’établissement pour qu’on arrête cette pratique. Les parents doivent aussi en discuter fermement avec leurs enfants. »
Pire, les deux amis réclament « zéro tolérance » avec les auteurs des gestes. « Ils peuvent blesser très gravement n’importe qui. Celui qui a fait ça ne doit plus faire partie du lycée. »
Réexpliquer le fonctionnement du corps
Face à ces « jeux violents » , qui n’ont rien d’un jeu, « il faut de la prévention » , confie Françoise Cochet, présidente de l’association Accompagner – Prévenir – Éduquer – Agir – Sauver, basée à Paris. Depuis la fin des années 1990, ce collectif alerte sur « les risques liés aux jeux d’asphyxie, et autres pratiques dangereuse dévoilées par les élèves, ainsi que sur le harcèlement scolaire ».
« Si les jeunes ne savent pas quelles sont les conséquences, ils ne peuvent pas se rendre compte de la gravité de tels comportements. Dans ce cas-là, la torsion du rachis cervical peut entraîner un malaise vagal, une entorse cervicale, une luxation… » Au-delà des risques, elle soutient que la connaissance du corps humain est primordiale : « En intervention en milieu
scolaire, on réexplique des bases d’anatomie et de physiologie pour qu’ils comprennent, par exemple, comment fonctionne la colonne vertébrale et à quoi elle sert » , pointe Françoise Cochet. De son côté, le directeur de l’établissement quimpérois questionne : « C’est notre métier de faire de la prévention auprès des jeunes, mais on n’y arrivera pas tout seul. Je trouve incompréhensible que l’on n’interroge pas collectivement la responsabilité de ces réseaux qui diffusent librement ces vidéos violentes. »
L’agresseur « regrette son geste »
Guylène Esnault, directrice académique des services de l’Education Nationale (Dasen) du Finistère, explique qu’à l’image des autres départements bretons, « le Finistère n’est pas épargné par cette mode dangereuse et idiote. Nos services prennent cela très au sérieux et accompagnent les établissements scolaires. Une conseillère technique est d’ailleurs en soutien au chef d’établissement ».
Selon la directrice académique, « l’élève auteur du geste a bien compris qu’il avait fait une bêtise. Il regrette son geste tout en sachant qu’il mérite sanction. Les actes ont des conséquences. » Néanmoins, « il ne faut pas oublier que nous avons affaire à des jeunes entre 15 et 17 ans. Certes, certaines conduites sont répréhensibles, mais on ne parle pas non plus d’un délinquant. On peut aussi faire évoluer les comportements. »
D’autres épisodes ont-ils été recensés dans le département du Finistère ? « Pas à ma connaissance, répond Guylène Esnault. Peut-être y a-t-il eu d’autres cas mais probablement sans douleur et sans que cela ne se sache. »
Demain après-midi, mardi 10 octobre 2023, « je reçois, comme je le fais souvent, les chefs d’établissement. Ce sera l’occasion de faire un appel à vigilance accrue et de dire « halte à ça ». Cette pratique est interdite et intolérable. Des actions d’information et de prévention peuvent être menées avec le conseiller principal d’éducation (CPE) et l’infirmière. »
Quoi qu’il arrive, la direction des services départementaux du Finistère entend agir « avec fermeté face à ce phénomène ».
Association Accompagner – Prévenir – Éduquer – Agir – Sauver. Tel : 06 21 45 41 86. Contact et outils sur site internet https : //jeudufoulard. com/
Les étudiants du lycée de Cornouaille interrogés se disent « choqués » par ce qu’il s’est passé et souhaitent que le phénomène s’arrête.
Hugo DESHORS et Soizic ROBET
9 octobre 2023