Jeux d’évanouissement et d’asphyxie, aspects mécaniques et conséquences physiologiques corporelles
Les jeux dangereux entraînant un évanouissement ou une asphyxie, auxquels s’adonnent nos enfants, notamment en milieu scolaire, lieu de prédilection de leur apprentissage, sont nombreux. Les téléphones portables et les réseaux sociaux permettent de filmer et de diffuser largement ces expériences très dangereuses, qui peuvent non seulement entraîner quelques décès, mais aussi laisser à des survivants d’un arrêt cardiaque, des séquelles irréversibles et un lourd handicap. La connaissance du mécanisme de réalisation de chacun ce des jeux permet de comprendre les graves perturbations physiologiques, qui surviennent dans le corps de l’enfant, au détriment de sa santé physique, psychique et même sociale. Cela doit permettre aux adultes, enseignants, éducateurs, parents, d’engager la prévention auprès des enfants, par une information honnête et rigoureuse, facteur d’efficacité, c’est-à-dire l’arrêt de la pratique de ces jeux dangereux.
Les jeux d’évanouissement et d’asphyxie sont nombreux. Certains ont été regroupés sous le terme de jeu du foulard, quand il s’agit de strangulation, mais en fait, un foulard est rarement utilisé, même lorsque l’enfant la pratique seul, le plus souvent dans sa chambre, à l’abri des regards, lieu où sont observés la plupart des décès.
A chaque jeu, son mécanisme propre de réalisation, mais avec un même résultat final, le manque d’oxygène au niveau des cellules cérébrales. Or celles-ci, comme toutes les cellules de l’organisme humain, ne fonctionnent qu’avec 3 carburants clés, l’oxygène, l’eau et le sucre ( glucose).
JEU DE LA TOMATE
Dès la maternelle à partir de 4 à 5 ans, mais également au cours élémentaire, le jeu de la tomate est le plus fréquemment effectué, et d’ailleurs il arrive en seconde position (34%)des jeux dangereux cités par les enfants dans les différentes enquêtes de ces dernières années : enquête IPSOS en novembre 2011 auprès de 1012 enfants âgés de 6 à 15 ans, enquête de l’académie de Toulouse auprès d’élèves de CE1 et de CE2 en 2013.
Le jeu de la tomate consiste à bloquer sa respiration et à pousser fort sur sa glotte fermée jusqu’à épuisement, car il faut tenir le plus longtemps possible pour remporter le challenge ou ressentir les sensations que l’on souhaite. Le visage de l’enfant devient de plus en plus rouge, cramoisi, et les signes d’hypoxie apparaissent : bourdonnements d’oreille, malaise indéfinissable avec la « tête qui tourne », mouches noires devant les yeux, pour aboutir à la perte de connaissance, si l’enfant ne reprend pas sa respiration. Le fait de ne plus respirer provoque aussi une augmentation très rapide du taux de dioxyde de carbone dans le sang, qui ne peut plus être éliminé.
La perte de connaissance est souvent brève, mais dans quelques cas les secours ( sapeurs pompiers le plus souvent ),ont dû être appelés et intervenir devant une reprise trop lente de la conscience, avec un enfant obnubilé, les yeux hagards, absent et ne répondant pas bien aux questions posées par l’entourage.
COMPRESSION DU LARYNX
De rares enfants, toujours dans la même tranche d’âge, se compriment le larynx sur une barre métallique horizontale de barrière, ce qui limite le passage de l’air dans les 2 sens, à l’inspiration et à l’expiration. Cette compression progressive du larynx aboutit aussi à la perte de connaissance, mais il existe un risque supplémentaire, à savoir l’excitation du nerf pneumogastrique, enclenchant un malaise vagal avec risque d’apnée et de ralentissement du rythme cardiaque.
LE RÊVE INDIEN
Au collège et en cycle primaire, c’est le rêve indien qui est le jeu dangereux le plus pratiqué. Il est cité en numéro un dans l’enquête IPSOS (51%). Il en existe bien d’autres dénominations, le grand bleu, le jeu du cosmos, 30 secondes de bonheur, le jeu de la grenouille…
Habituellement, le rêve indien se pratique ainsi : l’enfant exerce 25 génuflexions très rapidement tout en hyperventilant (respiration haletante), puis il se redresse brutalement, bloque sa respiration et se pince le nez. La perte de connaissance est immédiate, l’enfant s’écroule par terre ( il peut donc se blesser en chutant s’il n’est pas retenu par un copain, et se blesser au niveau du crâne). Des mouvements convulsifs s’ensuivent pendant quelques dizaines de secondes, puis la reprise de conscience se fait progressivement, avec une période transitoire d’obnubilation.
Quel est l’enchaînement des évènements ? L’hyperventilation accentuée par la brutale activité musculaire crée une diminution nette de la pression de dioxyde de carbone dans le sang, favorise et potentialise l’arrêt respiratoire, d’autant plus que l’enfant bloque brutalement sa respiration. La perte de connaissance et les mouvements convulsifs traduisent l’hypoxie cérébrale.
Si l’enfant s’adonne régulièrement à ce jeu, des altérations des cellules cérébrales sont inéluctables, rendant compte des troubles observés ultérieurement, céphalées, fatigue, trous de mémoire, idéation ralentie.
COMPRESSION CERVICALE ( JEU DU FOULARD )
Que ce soit au moyen d’un lien ou des 2 mains, la compression bilatérale au niveau du cou gêne progressivement le flux vasculaire des gros vaisseaux, d’abord des veines jugulaires dès une petite pression de 2 kg, puis des artères carotidiennes, si la pression atteint 5 kg. Les veines jugulaires apportent au cœur, via la veine cave supérieure, le sang veineux de la tête, chargé de déchets et notamment du dioxyde de carbone, gaz toxique. Ce sang est ensuite dirigé vers les poumons pour le débarrasser du dioxyde de carbone. La compression des jugulaires provoque donc une stase veineuse en amont, donc dans le cerveau et une diminution de l’épuration du gaz toxique. Quand c’est au tour des carotides d’être comprimées, c’est la quantité d’oxygène, qui chute au niveau cérébral du fait du ralentissement du flux artériel. L’association hypoxie hypercapnie définit l’asphyxie.
En fonction de la durée et de l’importance de la compression, l’hypoxie est plus ou moins profonde, la souffrance des cellules cérébrales plus ou moins intense.
Quand un enfant est seul et qu’il veut reproduire les effets de la strangulation provoquée par les copains, il ne peut l’obtenir avec ses mains. Il utilise alors un lien quelconque, une ceinture de robe de chambre, de pantalon, de judo, un foulard, une corde, un tee-shirt. Il ne s’agit pas d’une véritable pendaison, car le lien est souvent fixé à une poignée de porte, de fenêtre, à un
montant de lit, à un lit superposé, ses pieds reposant souvent sur le sol, voire quelquefois les genoux. Il s’agit davantage d’une suspension, d’un appui progressif sur le lien, qui s’imprime de plus en plus dans la chair du cou, jusqu’à ce que surviennent les sensations recherchées. Mais plus l’hypoxie s’accroît, plus l’état de conscience s’altère et lorsqu’il perd connaissance, c’est le drame assuré. Il est seul, il n’y a personne qui puisse desserrer le lien et le sauver. C’est donc le propre poids de l’enfant inconscient qui complète la strangulation mortelle.
Certains enfants sont même retrouvés avec une main entre le lien et le cou, prouvant à l’évidence qu’il ne s’agit pas d’un suicide, mais bien d’un jeu dangereux qui a mal tourné, car l’enfant a dépassé ses limites sans en connaître les conséquences.
LA CONSTRICTION MAJEURE DU THORAX
Cette méthode consiste à étreindre le thorax du copain, soit avec les 2 bras ou un gros cordage et à l’enserrer de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’il suffoque, car il ne peut plus respirer. C’est l’asphyxie par hypoxie et hypercapnie. Si l’apnée ainsi provoquée, est prolongée, survient de la même façon une perte de connaissance avec mouvements convulsifs.
RESPIRATION DANS UN SAC PLASTIQUE
L’enfant se recouvre la tête d’un sac plastique , qu’il ferme au niveau du cou. Le volume d’air retenu dans le sac ne peut se renouveler. Au fur et à mesure de la respiration, cet air s’appauvrit en oxygène, puisque toutes les cellules de notre corps l’utilisent pour fonctionner, et au contraire s’enrichit en dioxyde de carbone toxique éliminé par l’expiration. L’enfant va d’abord s’endormir par narcose hypercapnique et l’hypoxie aidant sombrera dans le coma pour aboutir au décès. Quelquefois même, l’épaisseur du sac plastique est tellement mince, que la paroi du sac se colle aux narines et aux lèvres à chaque inspiration, aggravant la suffocation, l’asphyxie. Le décès est encore plus rapide.
INHALATION DE SUBSTANCES GAZEUSES NOCIVES
Bien que cette asphyxie ne soit pas d’origine mécanique, il faut la mentionner ici. C’est une pratique qui touche plus particulièrement les adolescents, et notamment lors des soirées festives. Ils inhalent des gaz de différente nature, protoxyde d’azote, ou déodorant, laque … propulsés par du propane ou du butane, dans un sac plastique, pour obtenir des effets euphorisants, hilarants, des hallucinations visuelles, une sensation de lévitation, une volonté de se couper de la réalité du monde et de ses soucis. Les adeptes de cette pratique oublient que cela peut entraîner une perte de connaissance plus ou moins longue en fonction de l’hypoxie, un décès par anoxie, voire un arrêt cardiaque réflexe. Quelques décès ont déjà été rapportés en France dans les 5 dernières années, bien davantage en Angleterre, au Canada et aux Etats Unis. Ces gaz se combinent ou se substituent à l’air lors des inspirations profondes, d’où l’inhalation d’un gaz pur sans oxygène ou d’un mélange gazeux très appauvri en oxygène.
HYPOXIE ET ANOXIE CEREBRALES
C’est la clef unique et la conséquence redoutable de tous ces jeux d’évanouissement et d’asphyxie, quelle que soit leur dénomination, et quelle que soit leur réalisation. L’hypoxie cérébrale dans un premier temps, l’anoxie ensuite, entraînent un ralentissement progressif du rythme cardiaque, qui en moins de 2 minutes aboutit à l’arrêt cardiaque en asystolie. Au-delà de 3 à 5 minutes d’arrêt cardiaque sans réanimation, il y a peu d’espoir de récupérer une vie sans séquelles. Parfois le décès ne peut être que confirmé. L’utilisation d’un défibrillateur automatique ou semi-automatique, installé dans de nombreuses structures et lieux publics, est inutile et inefficace dans ce type d’arrêt cardiaque, où le cœur de l’enfant ne fibrille pas. C’est le massage cardiaque externe qu’il faut entreprendre.
SIGNES DE RECONNAISSANCE DE L’HYPOXIE CEREBRALE
Selon l’importance et la durée de l’hypoxie, on observe dans un premier temps des bourdonnements ou des sifflements d’oreille, des coups sourds au niveau des tempes, une vision floue, des hallucinations visuelles, une lourdeur dans les jambes, une rougeur des pommettes puis du visage en entier. Certains évoquent le déplacement des objets environnants, voire une impression de détachement de l’environnement, de planer.
Puis survient la perte de connaissance, quand l’hypoxie s’aggrave, avec survenue de mouvements convulsifs, généralisés, témoignant bien de la souffrance cérébrale avec excitation anormale et diffuse des cellules.
Enfin, c’est la phase de coma, avec ralentissement du rythme cardiaque, dont l’évolution peut être réversible, si la strangulation ou l’apnée provoquée est stoppée et si une prise en charge de qualité, médicale ou non médicale, est immédiatement entreprise. En cas d’anoxie profonde avec arrêt cardiaque, si celui-ci ne peut être récupéré en moins de 3 à 5 minutes par un massage cardiaque externe efficace, il y a peu de chance d’obtenir une survie sans séquelles. Le tableau d’encéphalopathie sévère, comporte un état végétatif et une absence de toute interrelation et communication avec l’entourage. Mais le plus souvent ce seront des séquelles cérébro-motrices lourdes avec handicap majeur à vie. L’enfant n’a aucune autonomie et doit être assisté en
permanence par une tierce personne pour ses soins vitaux : soins d’hygiène, lever, coucher, habillement, repas, déplacements.
Ces états de survie dramatiques doivent être rappelés aux enfants lors des séances d’information. Ils sont particulièrement sensibles aux difficultés des enfants handicapés, qu’ils peuvent côtoyer ou seulement voir dans les médias ( journaux, magazines, TV),et les réseaux sociaux, notamment lors du téléthon. Il faut aussi leur rappeler que l’arrêt cardiaque réflexe existe et qu’un arrêt cardiaque peut survenir dès la première expérience.
La répétition des épisodes d’hypoxie entraîne des destructions cellulaires, qui vont avoir un retentissement sur les fonctions physiques, psychiques, cognitives et comportementales de l’enfant : céphalées tenaces, récurrentes, mal contrôlées par les médicaments, pétéchies du visage et des conjonctives, fatigue anormale et apathie, pertes de mémoire, idéation ralentie, diminution des performances scolaires, épilepsie. La connaissance de ces signes doit être bien présente à l’esprit des enseignants, des éducateurs, des parents… et des médecins.
CONCLUSION
Les enfants n’ont pas conscience des conséquences de ces différentes pratiques dangereuses, qu’ils appellent des jeux. Dans les enquêtes 10% les pratiquent plus ou moins régulièrement, pour faire comme les copains (50%), intégrer un groupe ou une bande, parce que c’est rigolo (32%), ou que cela leur procure des effets bizarres (6%).
Leur information est capitale et il ne faut pas attendre qu’un accident survienne pour engager la prévention de ces risques.
On ne doit pas toucher à son corps, ni à celui du copain. La respiration et la circulation sanguine ne doivent en aucune façon être gênées, entravées, bloquées. C’est par des notions simples de physiologie élémentaire du corps humain, qu’ils comprendront que le cerveau est un trésor à conserver intact et le plus longtemps possible……comme tout trésor.
Dr Jean Lavaud
Pédiatre réanimateur. Ancien responsable du SMUR pédiatrique de Paris (NEM)